Europe : à la pointe de l’efficacité énergétique

Mais aussi de la décarbonation et avant même le Green Deal

Les élections européennes de 2024 seront un moment important pour la transition énergétique en Europe. L’enjeu climatique et énergétique sera ou ne sera pas au coeur de la campagne électorale mais la composition future du Parlement sera déterminante dans la continuité de la politique de l’Union et sa capacité à jouer un rôle moteur dans la lutte contre le changement climatique. La montée d’un scepticisme environnemental intégré par les populismes de droite et certains partis de centre-droit pourrait se traduire par un ralentissement, des pauses ou même des retournements dans les politiques environnementales. En découlerait l’affaiblissement de l’avantage compétitif qu’est une économie sobre en énergie et avancée en termes de décarbonation et de la position internationale de l’Union.

L’Europe à l’avant-garde de l’efficience énergétique

Peut-on cependant arrêter la dynamique qui a placé l’Europe à l’avant-garde de l’efficience énergétique et de la décarbonation ? Le graphique de l’évolution de l’intensité énergétique du PIB donne une première réponse. 

Dès le milieu du XXème siècle la performance de l’Europe est significativement meilleure que celle de l’Amérique du Nord où le développement économique s’est basé intensivement sur le charbon et le pétrole. En 1970 l’intensité énergétique du PIB de l’UE+UK est inférieure de 30% à celle de l’Amérique du Nord. Les chocs pétroliers de la fin des années 1970 induiront une amélioration significative en Amérique du Nord. Cependant, sur la longue durée l’évolution sera similaire : -1,8% par an de 1970 à 2022 en Amérique du Nord et -1,7% par an dans l’UE+UK. En 2022, l’intensité énergétique de l’Europe reste 27% inférieure à celle de l’Amérique du Nord et plus de 50% inférieure à l’intensité énergétique du PIB mondial. Outre une moindre addiction historique aux fossiles la performance de l’Europe trouve ses racines dans une sensibilité environnementale historiquement forte dans la plupart des pays européens et dans l’intégration continue de l’innovation technologique (un excellent exemple en est la performance énergétique des véhicules produits par les constructeurs européens). Avant même le Green Deal, l’Europe était à la pointe. Cet atout de productivité énergétique est un avantage compétitif majeur pour l’Europe dans la lutte pour la décarbonation qui n’est pratiquement jamais souligné par les analystes économiques.

De fortes disparités entre les pays

Au sein même l’Europe des disparités importantes sont observées. Le graphique qui présente l’intensité énergétique du PIB en 2000 et 2022 montre des évolutions allant toutes dans la direction d’une amélioration importante mais avec des niveaux absolus fort différents. 

L’Allemagne et la France sont, en 2022, presque au même niveau avec une baisse plus importante en France depuis 2000, reflet de la désindustrialisation. Au Royaume-Uni l’impact de la désindustrialisation et le poids des services se font également sentir pour porter l’efficience à un niveau inférieur à celui de l’UE+UK. Sans surprise le Danemark, spécialisé dans les industries technologiques et les services, présente une performance remarquable. Enfin, les Pays- as et la Belgique présentent des performances médiocres sous le poids d’industries énergivores, notamment la chimie et la pétrochimie, de la logistique et du transport routier et, pour la Belgique, d’une performance médiocre dans l’habitat.

En avance aussi pour la décarbonation

L’Europe est aussi à la pointe en matière de décarbonation. En 1970 l’intensité en CO2 du PIB s’établit en Europe à 600 TCO2 par million de US$2020, 25% en dessous du niveau de l’Amérique du Nord. De 1970 à 2022 la diminution annuelle a été de 2,5% par an dans l’UE+UK et de 2,3% par an en Amérique du Nord. Ces progrès européen et américain sont depuis 1970 significativement plus importants que l’évolution mondiale (-1,3% par an). La montée en puissance des économies émergentes dont l’activité est très intense en énergie, à commencer par la Chine en est l’explication principale.

Mais l’Europe n’exporte-t’elle pas ses émissions de CO2 en délocalisant son industrie ?

Un dernier graphique met en évidence que l’Europe est un peu moins vertueuse que ce que l’évolution de ses émissions de CO2ne montre. Le graphique débute en 1990, année de référence pour les objectifs de réduction du Protocole de Kyoto. C’est aussi l’année de référence pour l’objectif « Fit for 55 » (Ajustement à l’objectif 55) qui vise à une réduction de 55% des émissions nette de CO2 de l’UE en 2030 par rapport à 1990.

De 1990 à 2021 (dernière année disponible pour la consommation de CO2 qui intègre les effets du commerce international) les émissions de l’UE+UK ont diminué de 29,5% (31,1% en 2022). La baisse de la consommation de CO2 est plus modeste : 22,8%. 

Jusqu’en 2008, année de la crise des subprimes, la consommation de CO2 de l’UE+UK n’a pas diminué par rapport à 1990. Et sur cette période 1990-2008 (première cible du Protocole de Kyoto) la baisse des émissions a été limitée à 6,8%. (l’engagement de l’UE, à 15 pays à l’époque, avait été un réduction de 8%). L’effet de la mondialisation se fait sentir à partir de la fin des années 1990 avec un doublement des importations de CO2 de 1997 (566 MTCO2) à 2008 (1.126 MTCO2) : l’Europe a bien reporté vers l’extérieur, la Chine principalement, une partie de ses émissions de carbone.

Certes, depuis 2008 le progrès est significatif : sur la période 2008-2021 les émissions de CO2 de l’UE+UK ont baissé de 24,4% (2,1% par an) et la consommation de CO2 de 26,1% (2,3% par an). Les importations de CO2 de l’Europe restent cependant en 2021 avec 761 MTCO2 supérieures à celles de 1997.

L’Europe peut-elle atteindre l’objectif de « Fit for 55 » ?

L’objectif de réduction des émissions de 55% en 2030 par rapport à 1990 paraît clairement hors d’atteinte. Sous l’hypothèse que le rythme de progrès reste celui de la période 2008-2021, objectif ambitieux mais atteignable, les émissions de l’UE+UK auront baissé en 2030 de 38 à 40% par rapport à 1990.  

 
© Michel Allé
Décembre 2023