Chine et charbon

Une addiction profonde

Tout comme l’Angleterre de la révolution industrielle au XVIIIème et XIXème siècles, la Chine a basé son extraordinaire révolution industrielle du début du XXIème siècle sur le charbon. 

Le graphique de la consommation d’énergie primaire en Chine l’illustre sans ambiguïté. Le système énergétique chinois a toujours été largement dominé par le charbon. En 1990 il représentait 77% de l’énergie primaire complété essentiellement par le pétrole (15%) et l’hydroélectricité (5%). Peu de choses avaient changé en 2000 : la consommation d’énergie primaire avait progressé de 49% par rapport à 1990 (4,0% par an), le charbon représentant encore 70%.


L’explosion économique 2000-2011

La période 2000-2011 est celle de l’explosion industrielle et économique. La Chine devient l’usine du monde. Le PIB (en US$ constants) est multiplié par 3 (+ 10,5% par an), la consommation d’énergie par 2,65 (+ 9,3%par an) et celle de charbon par 2,7 (+ 9,4% par an). En 2011 le charbon pèse toujours 70,7% de la consommation d’énergie primaire. Et 78,3% de la production d’électricité est produite à partir de charbon.

S’appuyer massivement sur le charbon allait pratiquement de soi : la ressource est abondante dans le pays, son coût d’extraction est faible et dès lors que la croissance est la priorité absolue sur toute autre considération, en particulier environnementale, l’impact en terme de pollution pouvait être négligé. Une large décentralisation vers les provinces des décisions d’extraction de charbon et de constructions de centrales l’utilisant, couplée avec une compétition exacerbée entre provinces, amplifiera la dépendance au charbon.


Le début des changements : 2011-2022

Même si la perception de la dominance du charbon persiste, la période 2011-2022 marque l’amorce de plusieurs inflexions. Si la consommation globale d’énergie primaire continue de progresser (+ 41% soit + 3,2% par an), la progression du charbon est plus modérée (+ 11 % soit à peine 0,9% par an) et les nouveaux renouvelables (multipliés par 11 soit +25% par an), le nucléaire (multiplié par 4,5 soit +15% par an) et le gaz (multiplié par 2,7 soit + 10%) par an accroissent leur part dans le mix énergétique. Le contexte économique a aussi changé : la croissance annuelle moyenne n’est plus que de 6,4% par an en moyenne.


L’électricité et le charbon

Les investissements dans les centrales électriques au charbon restent massifs jusqu’à aujourd’hui, le coût de production de l’électricité sur base de celles-ci restant compétitif y compris par rapport aux nouveaux renouvelables.

Le graphique montre l’évolution des capacités de production des centrales au charbon, éoliennes, photovoltaïques et nucléaires. On a complété l’information en mettant en évidence la réduction progressive de l’utilisation des centrales au charbon au travers de leur facteur de charge.

Le graphique met en évidence la large dominance du charbon en particulier jusqu’en 2015. Au début de la décennie 2000 les capacités augmentent lentement et le facteur de charge (axe de droite) atteint des maxima (plus de 75%). A partir de 2005 les capacités augmentent rapidement (doublement en 7 ans) et le facteur de charge descend à 60%. L’augmentation des capacités est plus lente à partir de 2015 (+24% de 2015 à 2022) avec, simultanément, une augmentation des capacités en solaire, éolien et nucléaire. Depuis 2015 le facteur de charge des centrales au charbon se situe entre 50% et 60%.

La presse fait régulièrement écho aux nouveaux permis accordés en Chine à des centrales au charbon. C’est ainsi qu’en 2022 la capacité totale de nouveaux permis accordés représente 106 GWe et 50 GWe ont été mis en construction (plus de 95% des permis accordés dans le monde !). En 2023 le phénomène s’est poursuivi avec 70 GWe de nouveaux permis fin de septembre.  Une analyse fine montre que la plupart des projets ne rencontrent pas les objectifs du gouvernement central (en avril 2021 le Président XI Ping avait annoncé « contrôler sévèrement » les nouveaux projets de centrale) : les permis sont majoritairement accordés dans des provinces qui n’ont pas de problème de sécurité d’approvisionnement ou de besoin de support aux énergies renouvelables. L’analyse fine montre aussi que de nombreux permis ne se concrétisent pas ou qu’ils remplacent des centrales multiples anciennes lorsqu’ils se concrétisent. C’est ainsi que la puissance totale installée n’a progressé que de 15 GWe en 2022 et la progression devrait être du même ordre de grandeur en 2023. 


La consommation d’énergie par habitant

A nouveau un graphique en dit beaucoup. La consommation d’énergie primaire par habitant de la Chine, en 2022 répartie entre les différentes sources, est donc comparée à celle de l’UE+UK, de l’Amérique du Nord et du Monde.

La dominance du charbon en Chine saute aux yeux tout comme le fait que la consommation d’énergie par habitant y a dépassé la moyenne mondiale pour se rapprocher du niveau européen. La consommation de charbon par habitant est en Chine près ce 5 fois la consommation en Europe, 3 fois la moyenne mondiale et 2,5 fois la moyenne par nord-américain ! 


Un mix énergétique déséquilibré 

Le mix énergétique chinois est donc très largement déséquilibré par rapport au mix mondial. Le charbon y pèse plus de deux fois plus que dans le monde. Et si l’hydro-électricité et les nouveaux renouvelables y pèsent (un tout petit peu) plus que dans le monde, le recours au pétrole et au gaz y est nettement moins important. 

Un mix électrique tout aussi déséquilibré 

Le mix électrique chinois est logiquement aussi marqué par la dominance du charbon. Son complément logique est la quasi-absence du gaz naturel (3,3% contre 23,5% en moyenne dans le monde). Les autres sources (nouveaux renouvelables, hydro-électricité et, dans une moindre mesure, le nucléaire) pèsent d’un poids assez similaire à ce qu’elles pèsent dans le monde.

Mais ce déséquilibre, combiné à un taux d’électrification de l’énergie finale parmi les plus élevés au monde et en croissance rapide, constitue potentiellement un atout majeur pour la transition énergétique chinoise. Le développement rapide des nouveaux renouvelables, tel qu’il est observé actuellement, la poursuite du développement hydroélectrique et une potentielle accélération du développement nucléaire ouvrent des perspectives de réduction du poids du charbon et donc de décarbonation de l’électricité et de l’énergie sans passer par une transition par le gaz naturel. Pour autant que les décisions des provinces s’alignent sur la volonté du gouvernement central. A suivre, de près et dans la (longue) durée.

© Michel Allé
Décembre 2023 mis à jour septembre 2024