Evolution détaillée des mix électrique et énergétique

Au-delà des apparences


Il n’est pas toujours simple de décrypter un graphique

La vue du graphique de l’évolution à très long terme de la consommation d’énergie primaire ne peut qu’impressionner.

L’explosion de la consommation depuis le milieu du XXème siècle est gigantesque, les énergies s’empilent les unes sur les autres, la consommation de charbon ne fait qu’augmenter, la part des énergies décarbonées (hydro-électricité, nucléaire, nouveaux renouvelables) est dérisoire.

Cela mérite un bon décryptage que nous allons commencer en nous concentrant sur les 4 dernières décennies et en complétant le graphique avec les taux d’évolution (croissance le plus souvent) moyens observés.

Le graphique et les taux d’évolution apportent quelques confirmations :

  • la croissance à long terme (1980-2022) de l’énergie primaire dans son ensemble a été de 1,8% avec une accélération dans la période 2000-2010 et un ralentissement depuis 2011
  • le charbon a suivi la même tendance à long terme avec une forte accélération dans la décennie 2000-2010 et une quasi-stagnation depuis 2011. Nous y reviendrons
  • le pétrole croit nettement moins que le total de l’énergie primaire sur toute la période et le gaz nettement plus
  • les énergies décarbonées restent peu importantes dans le total (18,2% en 2022)
  • le nucléaire a cru dans le long terme plus que le total de l’énergie primaire mais stagne depuis 2000
  • la croissance des nouveaux renouvelables est, depuis 2000 durablement supérieure à 10% par an.


Le lent tournant : moins de croissance et moins de fossiles

Le graphique de l’évolution quinquennale de la consommation d’énergie primaire illustre d’une autre manière ces tendances :

  • de 2002 à 2007 les fossiles dominent totalement la très forte croissance (91,2% de l’augmentation dont 52,2% pour le seul charbon !!)
  • de 2007 à 2012, avec en 2008 la crise des « sub-primes », la croissance est beaucoup moins importante, les fossiles dominent toujours (79% du total) mais les nouveaux renouvelables et l’hydro-électricité font plus que compenser le recul du nucléaire
  • de 2012 à 2017 la part des fossiles dans la croissance descend à 59% et les décarbonés montent à 41% dont 30,6% pour les nouveaux renouvelables
  • enfin de 2017 à 2022, avec en 2020 la pandémie Covid-19, les nouveaux renouvelables représentent plus de la moitié de la croissance (51,7%) même si les fossiles contribuent encore à 44,2% de celle-ci. 

On se dirige vers le plafonnement des fossiles, mais lentement.

Le graphique suivant complète le tableau en présentant, pour chaque année, l’évolution par rapport à l’année N-5. On sera sur la voie de la décarbonation de l’énergie (et de la fin de l’empilement de chacune des nouvelles énergies aux précédentes) le jour où les bâtonnets vert, bleu et pourpre seront, ensemble, supérieurs à 100%.

Ici aussi, ce qui frappe c’est la montée progressive en puissance des nouveaux renouvelables mais surtout l’importance considérable du charbon de 2000 à 2015. Alors il est temps de mieux comprendre cette progression de la pire des énergies fossiles.


Le charbon a progressé . . . en Asie

La croissance du charbon mérite une attention particulière d’autant plus que certains « fossiliens » ont répandu l’idée qu’il continuait son développement et que Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement a écrit, début 2024, que « le charbon vient de connaitre un immense essor sur la plupart des continents ».

Le tableau est beaucoup plus nuancé :

  • la croissance globale du charbon a été forte de 2000 au début des années 2010 (+58% de 2001 à 2011)
  • depuis 2011 cette croissance globale s’est quasi arrêtée (+2,1% de 2011 à 2022)
  • cette forte croissance est limitée à l’Asie avec un très fort poids pour la Chine (multiplication par 2,6 de 2001 à 2011 et par 2,8 de 2001 à 2022) et un développement fort et plus récent dans le reste de l’Asie-Pacifique (multiplication par 2,6 de 2001 à 2022)
  • dans les pays développés le charbon est en recul souvent très fort : division par 2 de 2001 à 2022 en Europe (UE+UK) et par plus que 2 en Amérique du Nord, réduction de 35% en Allemagne, division par 8 au Royaume-Uni, le berceau historique du charbon
  • dans le reste du Monde (Amérique centrale et du Sud, Afrique, Moyen-Orient) une croissance modeste a été observée jusqu’en 2011 avec un déclin depuis.

Le développement de la Chine comme « usine du monde » s’est largement appuyé dans les années 2000 à 2010 sur le charbon. On gardera donc à l’esprit qu’une partie (mais une partie seulement) du recul significatif du charbon dans les pays développés a pour origine la délocalisation, certes partielle, d’industries lourdes.


Zoom sur les décarbonés

Après nous être penchés sur le charbon, il est temps de comprendre la dynamique des énergies décarbonées même si, toutes ensemble, elles ne pèsent pas encore, en 2022, plus qu’une des énergies fossiles (en 2022 110 EJ contre 142 EJ pour le gaz, la plus « petite » des énergies fossiles). C’est pourquoi l’usage du zoom reste nécessaire.

Dans le long terme, depuis 1980, la croissance des énergies décarbonées a été significativement supérieure à celle du total de l’énergie primaire. 

L’hydro-électricité croit, dans la longue durée comme le total de l’énergie primaire et reste la principale énergie décarbonée.

Le nucléaire a cru rapidement jusqu’en 2000 et régresse légèrement depuis.

L’éolien et le solaire photovoltaïque ont entamé leur réel développement à partir de 2010 et celui-ci s’est accéléré à partir de 2015 sous l’effet de la baisse de leur coût. Quant aux autres renouvelables (principalement la biomasse et les bio-carburants mais aussi la géothermie) leur croissance est forte et régulière dans le long terme.  


Et la production d’électricité ?

La décarbonation de l’énergie passe, on l’a vu, en grande partie par l’électrification. Pour autant que l’électricité elle-même soit décarbonée : le bilan carbone d’un véhicule électrique est radicalement s’il est utilisé en Pologne (électricité essentiellement basée sur le charbon) ou en Norvège (électricité basée essentiellement sur l’hydro-électricité avec un complément d’éolien). 

L’évolution de la production d’électricité depuis 1980 est illustrée au graphique suivant.

Sur toutes les périodes analysées le taux de croissance de l’électricité est supérieur au taux de croissance de l’énergie primaire : le taux d’électrification augmente. Quant aux différentes sources les tendances principales en sont :

  • sur le long terme (1980-2022) le charbon a progressé au même rythme que l’électricité dans son ensemble mais depuis 2001 le charbon progresse plus lentement que le total de la production
  • le gaz progresse plus vite que le total et l’hydro-électricité moins vite
  • le pétrole est en train de disparaitre du mix électrique
  • sur le long terme (1980-2022) le nucléaire a progressé plus vite que le total de la production mais il n’y a plus de croissance depuis 2001
  • les nouveaux renouvelables progressent de manière soutenue de 15% par an.


Un net tournant : une croissance continue et moins de fossiles

Le graphique de l’évolution quinquennale de la production d’électricité met en évidence le tournant qui est pris :

  • la croissance, tous les 5 ans, est du même ordre de grandeur (entre 2.750 et 3.700 TWh soit entre 550 et 750 TWh par an). On retiendra ce chiffre car lorsque le potentiel de production décarboné ajouté annuellement sera supérieur à ce chiffre les fossiles commenceront à se replier dans la production d’électricité
  • de 2002 à 2007 les fossiles dominent totalement la croissance de la production d’électricité (81% de l’augmentation dont 52,5% pour le seul charbon !!)
  • de 2007 à 2012, les fossiles dominent toujours (68% du total) mais les décarbonés représentent 32% du total malgré un recul du nucléaire
  • de 2012 à 2017 la part des fossiles dans la croissance descend à 38,6% et les décarbonés montent à 61,4% dont 40% pour les nouveaux renouvelables
  • enfin de 2017 à 2022 les nouveaux renouvelables représentent nettement plus de la moitié de la croissance (59,2%) même si les fossiles contribuent encore à 32% de celle-ci. 

Un dernier graphique pour illustrer de manière plus complète encore le tournant et le rôle des nouveaux renouvelables dans celui-ci : la production d’électricité décarbonée de 1980 à 2022.  

© Michel Allé
Février 2024