Nous allons détailler ici l’évolution de l’énergie nucléaire dans le monde en analysant l’évolution des capacités en service commercial, les déterminants de celles-ci (mises en service et hors service, démarrage de construction de nouvelles centrales), la production d’électricité et les performances opérationnelles.
L’analyse de l’évolution globale est complétée par une analyse de la répartition géographique des capacités en service commercial et du poids de l’énergie nucléaire dans les mix électrique et énergétique des pays-clés.
Les données sur le parc électrique proviennent de la base de données de l’Agence Internationale de l’Energie atomique (PRIS – Power Reactor Information System). Vu le rôle de supervision de l’Agence, cette base de données est la plus complète sur l’historique et les performances opérationnelles des réacteurs en activité, en construction, mis hors service ou inachevés. Les données de production sont celles de l’Energy Institute Statistical Review of World Energy, presque complètement cohérentes avec celles de l’AIEA.
Evolution de la puissance installée
Le graphique présente l’évolution de la capacité nette moyenne en service commercial de 1970 à 2023. Pour les réacteurs mis en ou hors service en cours d’année la capacité est calculée pro-rata temporis (un réacteur de puissance nette de 1.000 MWe mis en service le 1er septembre est comptabilisé pour 334,2 MWe).
La montée en puissance de l’énergie nucléaire s’est déroulée essentiellement de 1975 à 1995, année ou la capacité en service commercial a atteint 350 GWe (350.000 MWe). De 1995 à 2023 la capacité installée en service commercial fluctue entre 341 et 378 GWe. En 2023 elle s’est établie à 368 GWe.
Le début de la décennie 2010 a été marqué par l’accident ou catastrophe de Fukushima, le 11 mars 2011, qui a conduit à la mise à l’arrêt de l’essentiel du parc nucléaire japonais. La capacité en service commercial au Japon qui s’établissait à 43,7 GWe en 2010 s’est réduite à moins de 10 GWe en 2013, certaines centrales ayant une production fortement limitée. En 2023, la capacité en service commercial au Japon est égale à 10,0 GWe. Quant au facteur de charge il était de 62% en 2022.
Mises en service et mises hors service
Les mises en service et hors service de réacteurs déterminent l’évolution des capacités en service commercial. Le graphique présente ces variations et l’impact net, positif ou négatif, sur les capacités en service commercial de 2012 à 2023 (2011 n’est pas pertinent s’agissant de l’année de l’accident ou catastrophe de Fukushima).
Sur les douze dernières années, six présentent un solde largement positif (2014 à 2018 et 2022), 4 un solde largement négatif (2012 et 2013, 2020 et 2021) et deux un solde voisin de zéro (2019 et 2023).
Le total des mises en service, 72.472 MWe, comprend 40.928 MWe en Chine (56%).
Le total des mises hors service, 48.885 GWe,, comprend 20.530 MWE en Union Européenne (42%) (dont 13.414 MWe en Allemagne auxquels il faut ajouter 7.076 MWe mis hors service en 2011). Dans le même temps seuls 1.600 MWe ont été mis en service dans l’UE.
Démarrage de construction
L’analyse du démarrage de construction de nouvelles centrales permet d’anticiper l’évolution future. L’AIEA considère comme date de début de construction celle de la première coulée significative de béton de la dalle de sol. Le graphique présente la somme des puissances électriques nettes des réacteurs dont la construction débute chaque année ainsi qu’une moyenne lissée sur les huit années précédentes pour mettre en évidence les tendances de long terme (la durée de 8 années a été choisie sur base de la durée moyenne de construction des réacteurs dans le long terme).
Le graphique met en évidence l’importance de la période 1970-1985 dans le développement de l’énergie nucléaire. Les capacités mises en construction dépassent 20.000 MWe par an en moyenne jusqu’au début des années 1980.
A partir de 1985 et jusqu’à 2008 moins de 5.000 MWe sont initiés annuellement. La moyenne remonte ensuite entre 5.000 et 9.000 MWe annuellement, le redémarrage constaté à la fin de la décennie 2000 s’arrêtant immédiatement après l’accident ou la catastrophe de Fukushima.
Au début des années 2020 la moyenne des mises en construction est de l’ordre de 7.000 MWe par an, 3 fois moins que durant la période du boom des années 1970 à 1985.
Production et facteur de charge
Le graphique de la production d’électricité nucléaire met en évidence que la stabilisation de la puissance installée à la fin des années 1990 a conduit à une stabilisation de la production dès le début des années 2000 : en 2022 la production d’électricité nucléaire se situe au même niveau qu’en 2001. L’impact de la mise à l’arrêt du parc japonais a eu un impact qui peut être estimé à 200 à 230 TWh par an soit 7,5% à 8,5% de la production totale en 2022. En l’absence de cette mise à l’arrêt la production aurait augmenté de 0,4% par an.
Les centrales nucléaires ont pour caractéristiques d’être très efficaces et fiables en terme de production. Le facteur de charge (rapport entre la production effective et la production théorique à pleine puissance en permanence) mesure cette efficacité. Le graphique suivant met en évidence un facteur de charge de l’ordre de 80% au niveau mondial de 2000 à 2022.
L’évolution du facteur de charge en France et en Belgique met cependant en évidence l’impact du vieillissement des parcs nucléaires sur la fiabilité. En France où la durée moyenne d’exploitation commerciale s’élevait à 37 ans fin 2023, le facteur de charge ea décliné à partir de 2016 sous le niveau de 70% et jusqu’à 52% en 2022. En Belgique où la durée moyenne d’exploitation atteint 43% fin 2023 le facteur de charge, remarquablement haut jusqu’en 2011, à plus de 85%, a ensuite fluctué fortement (entre 50% et 90%).
Géographie des capacités installées
Penchons-nous maintenant sur la géographie des capacités nucléaires en service commercial.
Pendant longtemps les USA, démarrant les premiers, et l’UE+UK, suivant 10 ans plus tard, ont largement dominé le paysage nucléaire. Ces deux régions représentaient 77%des capacités installées en 1980, 75% en 1990 et 70% en 2000. La part du reste de l’Europe (essentiellement l’ex Union soviétique dont l’Ukraine) est rapidement montée à 10% pour se maintenir dans la durée à ce niveau. Quant à l’Asie-Pacifique, hors Chine et donc essentiellement le Japon, sa part s’est élevée à 18% en 2000 et 19% en 2010.
L’émergence de la Chine est récente. Sa capacité nucléaire était anecdotique en 2000 (2.180 MWe). Les capacités mises en service commercial y ont représenté 50,6 GWe (50.600 MWe) de 2001 à 2023 soit 47% du total mondial et sur la période 2011 à 2023 ce pourcentage a progressé à 56%. C’est ainsi qu’en 2023 la capacité moyenne chinoise représentait 14% du total mondial.
Un poids très variable dans le mix électrique
Le poids du nucléaire dans les mix électrique et énergétique est très variable selon les pays et régions du monde («évitons toujours de confondre électricité et énergie et donc mix électrique et mix énergétique).
Notre dernier graphique met en évidence la part du nucléaire dans l’électricité en 2011 et 2022 et la part dans l’énergie primaire en 2022. Au niveau mondial le nucléaire représentait 11,9% de la production d’électricité en 2011 et 9,2% en 2022. La part dans l’énergie primaire s’élevait à 4% en 2022.
Rien d’étonnant à ce que la France et la Belgique présentent les parts les plus élevées. En 2011 le nucléaire représentait 78% de la production électrique en France et 53% en Belgique. Les proportions ont diminué en 2022 notamment sous l’effet des indisponibilités des réacteurs en France. La part du nucléaire dans le total de l’énergie primaire n’en reste pas moins significative : en 2022, 31,6% en France (record mondial pour un grand pays) et 15,9% en Belgique.
Peu d’autres pays ou régions présentent des niveaux significatifs et presque partout, sauf en Chine les parts du nucléaire dans le mix électrique sont en baisse. Dans l’UE+UK la part du nucléaire dans la production électrique s’élève encore à 20,9% en 2022 (27,5% en 2011). Aux USA elle est de 17,9% en 2022 (19,1% en 2011), avec une part de 7,9% dans l’énergie primaire.
En Chine la progression est réelle mais à des niveaux qui restent peu élevés : 4,7% de l’électricité en 2022 contre 1,9% en 2011 avec une part de 2,4% dans l’énergie primaire en 2022. Le lecteur intéressé par l’évolution et les perspectives se réfèrera à la page La Chine et le nucléaire.
Perspectives futures
Le lecteur intéressé par les perspectives futures (à l’horizon 2030, 2040 et 2050) et à la capacité des agences internationales d’anticiper ce futur se réfèrera à la page Les perspectives futures du nucléaire – La vision de l’AIE et l’AIEA.
© Michel Allé
Décembre 2023